Ne pas oublier les morts, c'est donc, dans un sens plus universel, apprendre la gratitude envers eux et, à travers eux, envers la vie. N'avons-nous pas depuis notre enfance, pour que nous soyons en vie, bénéficié des soins et des bienfaits d'un nombre insoupçonné de personnes : de nos parents bien sûr, d'autres parents proches et, au-delà de la famille, des amis, des médecins, des inconnus qui par un geste nous ont épargné un péril. Beaucoup d'entre eux ne sont plus de ce monde. Si nous poussons plus loin notre considération, nous devrions penser plus souvent aussi à tous les soldats qui se sont sacrifiés durant les guerres de défense, à tous les sauveteurs qui ont donné leur vie lors des catastrophes, à tous les savants de divers domaines qui ont permis à l'humanité de vivre mieux et plus longtemps. L'humanité se retrouve dans chaque individu, et chaque individu, s'il épouse la vie, prend part à l'aventure de l'humanité qui est partie intégrante d'une aventure bien plus vaste : celle de l'univers vivant en devenir.
François Cheng, Cinq méditations sur la mort - autrement dit sur la vie