Soleil et nuages.
Eclaircies et averses.
Douceur et fraîcheur.
Joie et tristesse.
Alors une femme dit : "Parle-nous de la joie et de la tristesse."
Et le prophète répondit : "Votre joie est votre tristesse sans masque.
Ce même puits d'où jaillit votre rire fut souvent rempli de vos larmes.
Et comment en serait-il autrement ?
Plus profondément la tristesse creusera dans votre être,
plus abondamment vous pourrez le combler de joie.
La coupe fraîche qui contient votre vin
n'est-elle pas celle-la même qui fut brûlante dans le four du potier ?
Et le luth qui apaise votre esprit,
n'est-il pas ce même bois qui fut taillé à coups de couteau ?
Lorsque vous éprouvez de la joie, sondez votre coeur
et vous trouverez que seul ce qui dans le passé vous a causé de la peine
fait à présent votre bonheur.
Et dès lors que la tristesse vous envahit,
sondez de nouveau votre coeur
et vous verrez qu'en vérité
vous pleurez sur ce qui autrefois vous a rendu heureux.
Certains d'entre vous disent que la joie est plus grande que la tristesse,
et d'autres de soutenir le contraire.
Mais moi, je vous dis qu'elles ne sont pas séparables.
Elles marchent main dans la main ;
et quand l'une vient s'attabler seule avec vous,
n'oubliez pas que l'autre est assoupie sur votre lit.
En vérité, vous êtes comme les plateaux d'une balance
oscillant entre votre joie et votre tristesse.
Il faudrait que vous soyez vide pour rester immobile et en équilibre.
Et quand le gardien du trésor vous soulève
pour peser son argent et son or,
vous ne pouvez empêcher votre joie ou votre tristesse
de faire pencher la balance."
Khalil Gibran, Le Prophète