Déjà en nous-mêmes, nous poussons dans un sens, c'est-à-dire (...) nous tendons vers la plénitude de notre présence au monde, à l'instar d'une fleur ou d'un arbre. Et de plus, nous tendons vers d'autres présences de beauté, vers une chance d'ouverture et d'élévation. C'est bien grâce à la beauté qu'en dépit de nos conditions tragiques nous nous attachons à la vie. Tant qu'il y a aura une aurore qui annonce le jour, un oiseau qui se gonfle de chant, une fleur qui embaume l'air, un visage qui nous émeut, une main qui esquisse un geste de tendresse, nous nous attarderons sur cette terre si souvent dévastée. J'aimerais pousser la hardiesse jusqu'à dire que la beauté, d'une certaine manière, justifie notre existence. N'est-il pas vrai qu'au sein de la beauté, but de noter quête, nous éprouvons la sensation de ne plus viser à rien d'autre ? Nous sommes là, pleinement dans l'être. Nous sommes, tout simplement. La beauté, un ornement, un surplus, un superflu ? Force nous est de constater qu'elle est essentielle dans la mesure où elle participe du fondement de notre existence et de notre destin.
François Cheng, Oeil ouvert et coeur battant